to think of what we've been, and not to kiss again. (erick)

I can't stop wantin' you, it's useless to say
So I'll just live my life in dreams of yesterday
They say that time heals a broken heart
But time has stood still since we've been apart
franck sinatra.

Lorsqu'elle ferma la porte de chez elle, Roza s'arrêta, le temps de quelques secondes, pour fermer les yeux et profiter des légers rayons de soleil qui perçaient à travers les nuages. La jeune femme prit une grande inspiration, avant de prendre la route vers le Friendly Bean. La plupart des gens vont travailler à reculons, mais pas Roza. A vrai dire, actuellement, pour elle, ses heures de travail étaient les seuls moments de répit qu'elle avait. Le reste du temps, elle restait aux cotés de sa mère, à l'aider dans les taches du quotidien, à l'emmener à l'hôpital quand il le fallait ... C'était désormais la santé de sa mère qui rythmait son quotidien. Ainsi que le café, quand elle allait y travailler. C'était son bébé, cet établissement. Elle y avait mis tout son coeur (et aussi toutes ses économies), et avec Gene, ils avaient réussi à ouvrir ce petit coin de bonheur, qui avait rencontré un franc succès dès le début. Pour leur plus grand bonheur.
Elle allait être seule au café pour la matinée, Gene étant absent, et il s'agissait aussi de la journée de congés de leur employée. Mais cela ne la dérangeait pas. Au contraire même. Elle appréciait la solitude, du moins jusqu'à l'ouverture.

Roza arriva au café. Après avoir ouvert la porte, elle se dirigea vers l'arrière du comptoir pour y déposer ses affaires et commencer à préparer les tables et la vaisselle pour la journée. Elle laissa couler l'eau pour remplir un seau. Malheureusement, lorsqu'elle revint pour récupérer le récipient, et commencer à passer la serpillière, elle manqua de tomber en glissant dans une flaque. « Et merde ! » pesta la jeune femme. C'était bien sa veine. Le café allait ouvrir dans une heure, un flot d'hommes d'affaires et autres travailleurs pressés allaient débarquer pour repartir avec leur gobelet, et elle devait gérer une fuite d'eau. Tout un tas de mots grossiers défilaient dans sa tête. Roza aurait voulu que cette journée soit normale, sans soucis, juste entre elle, quelques tasses de café et ses clients habituels. C'était raté. « La journée commence bien ... » Elle décida d'ouvrir le placard sous l'évier afin de voir si elle parvenait à localiser la fuite. Mais c'était sans compter sur son manque de connaissances en plomberie. Ou quoi que ce soit en rapport avec le bricolage. Le tuyau continuait à gouter, et elle dut déposer un nouveau sous en-dessous pour éviter que son café ne se transforme petit à petit en piscine.
Instinctivement, elle saisit son téléphone et commença à chercher un nom dans le répertoire. Erick. Ce n'est que lorsque la sonnerie commença à se faire entendre, qu'elle réalisa son erreur. Elle avait depuis toujours, eu l'habitude d'appeler Erick, en cas de problème. Et il avait toujours répondu présent. Mais dernièrement, leur relation était devenue plus compliquée. Elle regrettait d'avoir composé son numéro. Mais il était trop tard maintenant. Et dans un sens, ce serait mentir que de dire qu'elle ne voulait pas le voir. Il était tout pour elle, et occupait nuit et jour ses pensées. Mais en l'état actuel des choses, elle ne pouvait pas être avec lui. Et ça lui fendait le coeur. Soudain, il décrocha. « Allo ? Erick, je suis désolée de te déranger, surtout à cette heure-ci mais j'ai un soucis au café, une fuite et j'avoue que je sais pas trop quoi faire, et que j'ai pas envie de payer un plombier, surtout si ce n'est pas grand chose ... Alors me demande pas pourquoi, mais j'ai pensé direct à toi. Bien sur, une tasse du meilleur café de Saint Petersburg t'attend ! Ca ne te dérange pas ? » Il lui répondit qu'il allait venir. Roza ne put s'empêcher de remarquer le ton de sa voix, encore endormi et se mordit la lèvre inférieure. Elle l'avait sans doute réveillé, et s'en voulait, car elle savait que ses journées au Country Club pouvaient être assez longues et fatigantes.
En attendant qu'il arrive, Roza alluma son ordinateur pour mettre de la musique. C'est Nina Simone qui emplit la pièce de sa voix. Une demie heure passa, et puis la jeune femme entendit frapper à la porte. Erick et sa dégaine terriblement sexy qui la faisait toujours autant craquer. Elle s'empressa d'aller lui ouvrir, et lui claqua une bise sur la joue avant de refermer la porte derrière lui. « Salut. Ca va ? » Question plutôt gênante, étant donné la situation actuelle entre eux. « J'espère que je ne t'ai pas réveillé ? » C'était une torture de le voir, aussi près d'elle, mais de devoir garder ses distances. Tout ce que la brunette voulait, c'était se blottir dans ses bras, sentir son parfum et la chaleur de son corps contre le sien, et oublier tout le reste. Elle ne pouvait malheureusement s'y autoriser ...

to think of what we've been
and not to kiss again

Le Country Club avait été bondé toute la soirée, et ce n’est qu’aux petites heures du matin qu’Erick avait enfin pu rejoindre son chez-lui, pour une nuit – ou ce qu’il en restait – de sommeil bien mérité. Gizela l’avait invité à venir prendre un verre avec lui, à la fin de son quart de travail, mais il lui avait préféré son lit, avec promesse de se faire pardonner dans les jours à venir. Il n’aurait, de toute façon, pas été de bonne compagnie. S’empressant de se défaire de ses vêtements, une fois la porte fermée derrière lui, il avait filé sous la douche, l’eau chaude déliant chacun de ses muscles tendus, lui apportant un peu de réconfort après ce service mouvementé. Un sous-chef qui s’était absenté sans s’annoncer l’avait forcé à faire une charge de travail double, et il entendait bien sermonner le principal intéressé, mais pas avant d’avoir récupéré un peu de ses forces. Frais et disposé, il fila rejoindre sa chambre à coucher, et vêtu de son unique boxer, se faufila sous les draps et rapidement, se laissa bercer par les bras de Morphée. Ce n’est que quelques heures plus tard qu’il émergea, une vibration sur sa table de chevet le tirant de sa torpeur matinale. À tâtons, il tâcha de mettre la main sur son téléphone et quand il l’attrapa afin, il lui fallut une seconde supplémentaire avant de répondre à l’appel. L’afficheur indiquait un nom qu’il n’avait pas vu depuis un long moment – trop long, d’ailleurs. Roza. L’heure, quant à elle, lui signifiait qu’il était loin d’avoir atteint son quota pour un bon sommeil réparateur. Mais il s’en fichait. D’une voix ensommeillée, il s’empressa de décrocher. « Roza? Non, c’est bon, tu ne me déranges pas, t’inquiètes. Si tu m’offres le café, je viens t’aider avec plaisir. Et je t’assure, tout est ok. Laisse-moi juste le temps de me réveiller et j’arrive. » Elle acquiesça et il raccrocha. S'extirper du lit lui sembla une épreuve monstre, vu les raideurs de son corps mit à rude épreuve, la veille, mais le simple fait de savoir que sa matinée se composait d’un moment seul à seul avec Roza lui donnait le courage de se lever pour de bon. Il attrapa une paire de jeans – ses préférés - et un pull qui trainait dans sa penderie, puis il enfila ses baskets avant de quitter sa maison, verrouillant derrière lui. L’envie de prendre l’une de ses mots le titilla, mais il se contenta de sa voiture, prête à filer en un claquement de doigts. Il lui fallut près d’une trentaine de minutes avant d’atteindre le Friendly Bean. Heureusement pour lui, trouver un stationnement fut d’une facilité déconcertante, vu l’heure, et bien vite, il se retrouva à frapper à la porte de café, attendant sagement que la propriétaire des lieux ne daigne venir lui ouvrir. L’aura qu’elle dégageait le frappait à chaque fois, et malgré l’agacement qui marquait ses traits, il ne pouvait s’empêcher de la trouver belle. Elle l’avait toujours été, de toute façon. Elle l’invita à rentrer, lui faisait une bise au passage, et l’envie de la retenir le tenta, l’espace de quelques secondes. Mais il savait que ce n’était ni l’endroit, ni le moment pour ça. « Oui, ça peut aller et toi? » Échangés des banalités semblait être devenu routine, entre eux. « Si, mais ce n’est pas grave. Qu’est-ce que je ne ferais pas pour te rendre service. » Il lui fit même un clin d’œil, question de la rassurer, mais tout ceci sonnait faux. Comme s’il jouait un jeu, feignait d’ignorer le malaise palpable entre eux. « Tu… tu me montres d’où vient le problème? Vaudrait mieux ne pas tarder, l’ouverture approche, après tout. » Il était là pour cette même et unique raison, après tout. S’éterniser ne ferait que rendre la tâche encore plus difficile à l’un comme à l’autre.

« Oh oui ça va. Enfin tu sais, la routine... » S'occuper d'un parent malade n'était pas quelque chose qu'on pourrait qualifier de routinier, et pourtant, c'était désormais une part importante du quotidien de Roza. Pendant longtemps, Erick avait été celui à qui elle racontait tout, allant des petits tracas de la vie aux joies les plus grandes. Maintenant, ils avaient laissé s'installer la distance entre eux. Ou plutôt, c'était elle qui l'avait fait. Roza avait volontairement repoussé Erick, estimant qu'elle ne pouvait le laisser prendre une place plus importante dans sa vie, bien qu'elle en mourrait d'envie. La belle avait choisi ses priorités, et la famille l'avait emporté.
La jeune femme voulait éviter de plonger son regard trop longtemps dans le sien, craignant de craquer. De petits coups d'oeil furtifs étaient plus appropriés. Elle était partagée entre l'envie de faire prolonger ce moment, de le garder à ses cotés plus longtemps que nécessaire, et celle de ne pas faire trainer les choses, car le voir et garder ses distances était une épreuve plus difficile que ce qu'elle pensait. Il lui confirma donc qu'elle l'avait bien réveillé, et cette information ne fit que s'ajouter à son malaise. A son clin d'oeil, elle eut envie de répondre qu'elle aussi, qu'est ce qu'elle ne ferait pas pour se retrouver entre ses bras forts, laisser ses doigts courir le long de son torse et de son visage, ou encore sentir le contact de ses lèvres contre les siennes ... Qu'est ce qu'elle ne ferait pas pour vivre des moments de tendresse avec celui qu'elle considérait depuis bien longtemps comme l'homme de sa vie. Mais Roza était consciente qu'en choisissant sa mère, elle avait mis une barrière entre eux. Elle ne pouvait que se raccrocher aux souvenirs qu'ils avaient construit tous les deux. Elle avait envie de lui poser mille et une questions, mais ce serait malvenu. Il y avait notamment une question qui lui brulait les lèvres : avait-il trouvé quelqu'un ? Passait-il ses nuits avec une autre femme ? La prenait-il dans ses bras comme il avait l'habitude de le faire avec elle ? La jeune femme chassa ces interrogations de sa tête. Ce n'était pas le moment. Et après tout, pouvait-elle lui reprocher de fréquenter quelqu'un d'autre, si jamais c'était le cas ? C'était elle qui avait creusé un fossé entre eux, et bien qu'excessivement jalouse, au fond d'elle, Roza savait qu'elle serait dans le tord.
Le retour à la réalité fut brutal. La jeune femme avait presque oublié qu'il était là pour l'aider avec le problème de fuite d'eau. « Ah oui, ça ... C'est vrai. Hum, suis moi, c'est derrière le comptoir. Je l'aurai bien fait moi même mais tu sais à quel point je suis nulle pour tout ce qui touche au bricolage. » Bien sur qu'il savait. Erick faisait partie de ceux qui la connaissent le mieux. Elle se posta devant le lavabo et désigna du doigt la source du problème. Le sceau qu'elle avait disposé pour amoindrir les dégâts était déjà rempli à la moitié. A défaut de savoir bricoler, Roza avait tout de même sorti la caisse à outils. Une idée de Gene que de prévoir ce genre de choses, car ce n'est pas elle qui aurait pensé à avoir ce matériel sur place. Alors qu'Erick s'accroupit pour voir d'où venait le problème, Roza eut tout le loisir de l'observer. Il était terriblement sexy et Roza le désirait plus que tout. Il occupait constamment ses pensées, il était l'objet de ses désirs. Mais c'est ce qu'il était, à présent, un simple désir.
Roza s'accroupit à son tour, aux cotés d'Erick. « Alors, monsieur l'expert, tu vas réussir à me sauver la mise ? » La brunette essayait de ne pas se montrer trop sérieuse, pour masquer son embarras. Mais le frôlement entre leurs corps à ce moment précis la fit frissonner. Elle sentit une boule se former dans son estomac. Leurs regards se croisèrent, alors qu'ils n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Ce fut trop difficile à supporter pour Roza, qui décida de se relever afin de ne pas céder à la tentation qu'Erick représentait à ses yeux. « Emh, au fait, ton café ... Tu le veux comment ? » Roza lui tournait alors le dos. Elle ne voulait pas qu'il voit l'expression sur son visage, son regard empli de tristesse parce qu'elle s'était privé d'être avec l'homme qu'elle aimait. La jeune femme pensait qu'avec le temps, cela deviendrait plus facile, qu'elle réussirait à effacer son amour, mais elle s'était trompée. A vrai dire, c'était de pire en pire pour elle. « Et sinon, quoi de neuf dans ta vie en ce moment ? Comment ça va au Country Club ? Pas trop le rush ? » C'était la seule tactique qu'elle avait trouvé pour rendre la situation moins inconfortable : parler du quotidien, alors que tout ce qu'elle souhaitait lui dire, c'était qu'il lui manquait. Mais ce n'était pas tout. A vrai dire, il y avait un objectif caché derrière cette question banale : savoir s'il fréquentait quelqu'un. Roza se doutait bien qu'il ne lui dirait probablement pas, mais elle aurait au moins essayé.