#214 ▪ there's a curse between us (isaac)

" there's a curse between us
between me and you "

Ses pas hésitants l’avaient amené jusqu’ici, et désormais, ses pieds refusaient de continuer leur chemin. Elle était là, au bout de cette allée, menant à cette petite maison qu’elle connaissait par cœur. Une maison qui avait perdue de son éclat depuis son départ, les fleurs s’étant fanés, l’une après l’autre, faute d’entretien. Ou peut-être était-ce le passage des ouragans qui les avaient abîmés. Elle n'en savait rien. En six ans, bien des choses avaient changés, elle la première. Son cœur battait très fort dans le creux de sa poitrine, et dans un élan de panique, elle voulut faire demi-tour mais ne put se résoudre à le faire. Elle ne pouvait pas se le permettre, pas cette fois. La fuite n’était plus une option. Elle n’en serait plus jamais une, malgré tout ce qui l’attendait, de l’autre côté de cette porte. La haine, la colère, la rancœur, la tristesse, l’impuissance… l’oubli. Elle était prête à faire face à tout ça si elle pouvait poser, ne serait-ce que quelques instants, ses yeux sur eux. Sur lui, sur elle. Sur son mari et sa fille qu’elle n’avait pas revenu depuis son départ, six années plus tôt. Un acte qu’elle ne se pardonnait pas encore, qu’elle ne se pardonnerait probablement jamais. Elle recommença doucement à avancer, grimpant les escaliers de ce balcon où ils avaient si souvent veillés, Isaac et elle, collés l’un contre l’autre et rêvant de ces lendemains heureux qui les attendaient. Sa main hésita, à quelques centimètres de la porte. Elle hésita à briser ce silence des dernières années avec un bruit aussi sourd que celui-là, mais avait-elle le choix? Non. On le lui avait depuis longtemps enlevée, de toute façon. Faisant résonné sa jointure sur le bois, elle cogna trois fois, puis attendit, le cœur noué par une multitude d’émotions qu’elle ne pouvait identifiée, les mains moites et le regard absent. Elle avait cette impression de plonger dans le vide, sans savoir si quelqu'un serait là pour la rattraper.

Cette attente allait finir par l’achever. Elle jouait nerveusement avec ses mains, transits par un froid qu’elle seule ressentait.  Un froid qui la traversait toute entière et qui la faisait frissonner tout au long de son échine. Elle posa un moment le bout de ses doigts sur l’emplacement ou devait se trouver son cœur, son palpitant qui s’emballait alors que ses oreilles percevaient le moindre mouvement, de l’autre côté de cette porte qui fini par, enfin, s’entrouvrir, lui offrant un premier regard sur l’homme qu’elle avait épousé, des années plus tôt, alors que poussait dans son ventre un petit miracle. Cet homme doit elle était tombée amoureuse, cet homme qu’elle aimait toujours autant, de toutes les fibres de son corps. Il n’avait pas changé. Sauf peut-être les cernes qui marquaient son visage, et ses quelques rides qui avaient fait leur apparition sur son front. Elle était surement la cause de certaines d’entre elles, mais sa seule absence n’aurait pas suffi à le marquer de la sorte. Qu’avait-elle manqué, durant ces six années d’exile? Beaucoup trop de choses qu’un simple bonjour ne pourrait jamais effacer. Qu’une simple conversation autour d’un café ne saurait jamais combler. Il la fixe un long moment avant qu’il ne brise ce silence en ouvrant la bouche, et cette fois, les syllabes se rendent jusqu’à elle. « Hey... Salut. » Sa voix résonne dans ses oreilles comme une douloureuse mélodie, teintée d’une incompréhension qui n’avait rien de choquant, vu les circonstances. Car en ce moment précis, elle ne réalise toujours pas que c’est bel et bien réel, elle aussi. Face à face, leurs regards scrutateurs ne perdent rien de l’autre, le silence intense qui s’en suit n’a rien de confortable. Le malaise prend toute la place, et le petit manège de ses mains reprend doucement son cours, alors que la belle cherche les bons mots – si seulement il y en avait.  « Isaac. » finit-elle par articuler d’un ton hésitant. Comme si elle s’était interdite de prononcer ce nom jusqu’à aujourd’hui. Ses dents s’emparent de sa lèvre inférieure, signe de sa nervosité. Elle est la première à flancher et à baisser le regard. « Je... je suis de retour en ville, comme tu vois. Je… je voulais te l’apprendre moi-même avant la rumeur ne vienne jusqu’à toi. » Non, elle n’allait pas laisser au voisinage le plaisir d’annoncer à son mari sa réapparition à St Pete. Elle se devait de s’occuper de cette tâche ingrate, qui était, elle l’espoir, le début d’un long, très long processus de réconciliation. Mais elle n’était pas naïve : du peu qu’elle savait, Isaac pouvait tout aussi bien lui fermer la porte au nez et l’interdire de les approcher, Lola et lui. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle comprendrait sa décision. « Je… je peux entrer? Je peux repasser, aussi, si ce n’est pas un moment… » qu’elle lui demande, en relevant les yeux vers lui. Cette impression qu’elle a de blasphémer, de profaner cette maison qui fut la sienne, à une époque révolue et qui n’est plus. Six années d’absence ont suffi à faire d’elle un fantôme dans sa propre résidence, même si elle a continué de la hanter, par son souvenir et ses photos sur les murs.